Ce procès ne concerne pas seulement un homme, Tshuanahusset (aussi appelé « Tom l’Indien »), accusé du meurtre d’un autre homme, William Robinson. Il soulève un sujet beaucoup plus important : le conflit entre le peuple des Premières Nations et les colons vivant sur la côte de la Colombie-Britannique.
Pendant des siècles (1650-1850), les peuples autochtones ont vécu en bonne harmonie avec les commerçants de fourrures venus de Montréal dans leur territoire pour se procurer des fourrures et, plus tard, du poisson et des baies. Les commerçants de fourrures n’étaient pas intéressés à occuper le territoire des Premières Nations, mais seulement à faire appel aux habiletés des autochtones pour la chasse et pour le piégeage afin de se procurer des fourrures pour les marchés européens. Les Canadiens d’origine européenne dépendaient des Premières Nations pour ce commerce.
Avec la ruée vers l’or de 1858, sur la rivière Fraser dans le sud-ouest de la Colombie-Britannique, les choses ont changé. Les peuples des Premières Nations et les colons ont amorcé une longue lutte pour la terre. Attirés par l’espoir de trouver de l’or, plusieurs Blancs ont déménagé dans la région. N’ayant pas trouvé d’or, plusieurs décidèrent de demeurer et d’acquérir de la terre pour des fins agricoles. La Colombie-Britannique a été une des rares régions du Canada à ne pas conclure de traité avec la population autochtone lorsqu’une nouvelle région était offerte à la colonisation, en dépit de l’obligation légale de le faire. Les gens des Premières Nations ont passé plus de cent ans à combattre pour obtenir que leurs terres leur soient rendues ou, à tout le moins, qu’elles soient vendues légalement aux non-autochtones qui les avaient prises.
Au cours des premières années de colonisation, les Premières Nations ont protesté de diverses façons contre la possession illégale des terres. Certains ont fait des représentations officielles au gouvernement et même à la reine Victoria. D’autres ont pris l’habitude de « voler » à partir des jardins potagers des nouveaux fermiers installés sur ce qui avait été leurs terres. D’autres encore ont refusé de quitter les terres qu’ils croyaient être les leurs. Dans des cas extrêmes, les Premières Nations ont usé de violence envers les colons nouvellement arrivés.
Les relations qui existaient entre les gens des Premières Nations et les colons à l’époque de la colonisation de la Colombie-Britannique (1858-1901) n’étaient pas toujours hostiles. À Salt Spring Island, par exemple, un mariage sur quatre unissait une femme autochtone et un homme non autochtone. En 1881, près de la moitié des enfants de l’île étaient métissés. Les femmes des Premières Nations n’ont pas seulement permis aux colons de fonder des familles; elles leur ont également transmis le savoir-faire local permettant de vivre de la terre et de la mer dans cet environnement remarquablement riche. Habiles à la chasse et à la pêche ainsi que dans la culture et la préparation des aliments locaux, elles ont joué un rôle vital alors que les colons s’adaptaient aux conditions de la côte du Pacifique. Elles ont enseigné des techniques aux Blancs et les ont aidés à vivre sans les médecins, les routes et les produits commerciaux sur lesquels plusieurs colons pouvaient compter en Angleterre, en Écosse, en Irlande, au pays de Galle, en Europe ou aux États-Unis.
Des non-Européens se sont aussi installés à l’endroit qu’est aujourd’hui Victoria. En 1857, le gouverneur de la colonie de l’île de Vancouver, Sir James Douglas, a invité des Afro-américains à s’installer sur des terres rurales situées à proximité de Victoria. Souhaitant, pour des raisons politiques (entre autres), une population non autochtone dans la région, il a promis la citoyenneté britannique aux Afro-américains, y compris le droit de voter et de posséder des terres. La seule condition imposée était qu’ils établissent leurs fermes sur des terres bon marché. Plusieurs centaines de personnes ont accepté son offre; les cent premiers colons arrivant en avril 1858. Certains d’entre eux ont ramé jusqu’à Salt Spring en juillet 1859 et sont devenus les piliers de la communauté afro-américaine, qui avait atteint le nombre de 65 âmes lorsque William Robinson a été tué.
Durant les premières années de la colonie, les habitants de Salt Spring Island se faisaient une fierté d’intégrer les Afro-américains à la population britannique. Les Afro-américains étaient parmi les plus instruits de l’île et plusieurs hommes se sont engagés en politique locale. Comme ils étaient les premiers non-autochtones arrivés, ils ont pu s’établir sur les meilleures terres. Certains signes indiquent qu’ils ne jouissaient pas d’une parfaite égalité : ils se sont regroupés dans une partie de l’île et, à la suite des deux premiers meurtres, plusieurs ont craint pour leur vie et ont quitté l’île ou la côte. Certains historiens ont prétendu que la raison de leur départ était l’abolition officielle de l’esclavage à l’issue de la guerre de Sécession aux États-Unis. Quelles que soient les raisons, la population afro-américaine a connu une diminution et un appauvrissement considérables après les meurtres de la fin des années 1860.